mercredi 13 mars 2019

Le talent de Nelson Mandela : Découvrez vos motivations et révélez votre talent !

Chapitre 3 : le talent de Nelson Mandela

Mandela attirait les foules. Après sa libération, sa tournée sud-africaine a connu un succès populaire phénoménal. Mais il n’était pas un grand orateur. Sa voix était monotone et ses discours soporifiques. Il se justifiait : « Vous savez, j’essaie de ne pas faire dans la démagogie. Les gens veulent savoir comment vous gérez la situation. Ils veulent qu’on leur explique les choses clairement, rationnellement. Je me suis radouci. Jeune, j’étais très radical. J’attaquais tout le monde, à grands coups de mots ronflants. »(8)
S’il n’était pas un bon orateur, Mandela avait un sens politique affûté. Il savait reconnaître ses amis, ses ennemis et ses rivaux.
Il était très attentif à ses rivaux, car ce sont eux qui représentent souvent le plus grand danger. Il avait d’ailleurs confié que « lorsqu’un membre de son gouvernement ne le regardait pas dans les yeux quand ils échangeaient une poignée de main, ce n’était pas bon signe. »(8)
Bantu Holomisa était un jeune général impétueux. Il avait pris le pouvoir au Transkei. Holomisa estimait que Mandela faisait trop de compromis. Alors, Mandela l’invitait systématiquement quand il se rendait au Transkei. Il le traitait comme un fils. Holomisa fut conquis et lui demeura loyal.
Nelson Mandela se comportait de la même façon avec le bouillonnant leader Chris Hani. Et cela fonctionnait tout aussi bien. Hani ne contestait jamais l’autorité de Mandela.
Mandela redoutait l’instabilité et l’impulsivité du chef zoulou Mangosuthu Buthelezi. Il lui avait donc proposé le ministère de l’Intérieur pour « l’avoir à l’œil. »(8)
S’il tenait ses rivaux en respect, Mandela neutralisait tout aussi efficacement ses adversaires politiques déclarés. Pendant la campagne pour la présidentielle de 1994, de Klerk était son plus sérieux concurrent. De Klerk s’était bien préparé et faisait une bonne campagne. À la fin du débat télévisé qui les opposait, Mandela était venu lui serrer la main et l’avait qualifié de « vrai fils d’Afrique. » De Klerk s’en souvenait parfaitement : « Je sentais, comme tout le monde, que je gagnais des points. Puis, Mandela a remonté la barre à nouveau en me serrant la main soudainement et en me félicitant devant toutes les caméras de télévision. C’était peut-être planifié. Je crois que c’était alors un geste politique, mais que la majorité de ses triomphes médiatiques résultaient d’une réaction instinctive chez lui. À mon avis, il possède un merveilleux talent de ce côté-là. »(1)
Toujours lors de la campagne présidentielle de 1994, Mandela était invité dans une émission de radio. Eddie von Maltiz écoutait l’émission. Von Maltiz était un paramilitaire du Volksfront. Il entraînait des commandos dans sa ferme et avait été le premier à pénétrer dans le World Trade Center lors du raid de juin 1993. Évidemment, von Maltiz était farouchement opposé aux idées de Mandela. Furieux, il décida de téléphoner à la radio pour critiquer le projet de Mandela. Après l’avoir écouté, Mandela répondit : « Eh bien, Eddie, je crois que vous êtes un digne Sud-Africain et je ne doute pas que si nous nous asseyons et que nous échangeons nos points de vue, je me rapprocherai de vous et vous vous rapprocherez de moi. Discutons, Eddie. » Décontenancé, Eddie conclut : « Euh… Bon, d’accord, monsieur Mandela. Merci. »(1)
Finalement, Eddie von Maltiz a approuvé le principe des élections multiraciales : « Je n’ai jamais senti de respect de la part de de Klerk et du Parti national, vous savez. Mais de la part de Nelson Mandela, oui… Je crois vraiment que nous devons leur accorder une chance. »(1)
Mandela écoutait respectueusement les autres. Il n’hésitait pas à solliciter des spécialistes et à demander l’avis d’experts. Il prenait la parole le dernier. Il procédait ainsi quand il dirigeait l’ANC ou avec son cabinet lorsqu’il était chef d’État. Puis, il tranchait en prenant soin d’y mettre les formes. Mandela était un chef très attaché à la culture Ubuntu. Il reconnaissait aussi avoir été très inspiré par la phrase d’Abraham Lincoln : « Il est judicieux de convaincre les gens de faire quelque chose en s’arrangeant pour qu’ils pensent que c’était leur idée. »(8)
Mandela savait changer de stratégie pour s’adapter à la situation. Les médias lui ont donné une image de Dieu de la paix par opposition aux Dieux de la guerre de Clausewitz qu’étaient Alexandre ou Napoléon. Et pourtant, Mandela n’était pas un idéaliste pacifiste.
Quand il était étudiant, il soutenait la doctrine de non-violence prônée par Gandhi. Mais, en 1961, il s’opposait à la non-violence défendue par l’ANC et son président, le prix Nobel de la paix Albert Luthuli. À l’époque, Mandela défendait la guérilla pour renverser le régime de l’apartheid. Dans les années quatre-vingt, il avait analysé la situation en Afrique du Sud pour en conclure que la transition pacifique était la meilleure option pour son pays.
Pour lui, la non-violence était un moyen et non pas l’objectif final. Il l’expliquait d’ailleurs très clairement : « C’est la situation qui détermine si vous devez user de méthodes pacifistes ou de méthodes violentes. Tout dépend intégralement de la situation. »(8)
Mandela n’était pas un pacifiste moralisateur. Il était réaliste et ne perdait jamais de vue son objectif final d’instaurer une démocratie multiraciale en Afrique du Sud.
Mandela s’intéressait beaucoup à la stratégie. Au début des années 1960, quand il soutenait la guérilla, il lisait les livres de Sun Tzu, Clausewitz ou Mao Zedong.
Il apprenait aussi l’afrikaans et l’histoire des Afrikaners. En prison, il avait même suivi des cours par correspondance d’afrikaans et amélioré ses connaissances sur la culture et l’histoire des Afrikaners. Il s’était également intéressé au rugby, un sport de blancs en Afrique du Sud.
Parfaire sa culture générale n’était pas son premier objectif. Il voulait connaître son adversaire pour remporter la victoire bien sûr, mais pas pour l’anéantir.
En effet, Mandela considérait les Afrikaners comme des Africains à part entière. Il ne souhaitait pas les chasser d’Afrique du Sud. Fikile Bam, un compagnon de cellule, précise la pensée de Nelson Mandela : « Dans son esprit, et il nous le prêchait, un Afrikaner était un Africain. Il appartenait à la terre, et peu importe quelle serait la solution aux problèmes politiques, elle impliquerait le peuple afrikaans. »(1) D’ailleurs, dès sa première conférence de presse après sa libération, Mandela voulait rassurer les blancs : « L’ANC est très soucieux de traiter la question de l’inquiétude des blancs à propos de la demande une personne, un vote »(1) déclarait-il. Son but était de mettre fin à l’apartheid pour instaurer une démocratie dans laquelle chaque individu, blanc ou noir, aurait une voix. Et puis « quand vous parlez afrikaans, vous savez, vous vous adressez directement au cœur des gens » disait-il (8).
Mandela était un bon joueur de dames. Il avait gagné le concours organisé à la prison de Robben Island. Son bon niveau au jeu de dames atteste d’une intelligence visuelle et spatiale a minima élevée.
Nelson Mandela prenait son temps pour analyser la situation. Il ne se pressait jamais. Il était lent, délibérément. Sa façon de jouer aux dames en est une parfaite illustration. Ahmed Kathrada explique que Nelson Mandela prenait le dessus en déstabilisant son adversaire. Il restait toujours très calme, réfléchissait à toutes les possibilités et prenait énormément de temps avant de déplacer un pion. La plupart de ses adversaires étaient décontenancés par son comportement.
Mandela analysait avec une grande acuité les situations et les rapports de force. Il prenait le temps de la réflexion et ne se laissait pas emporter par ses émotions. Il gardait la tête froide pour ensuite agir le plus efficacement possible.
Au milieu des années quatre-vingt, à l’intérieur du pays, les townships devenaient ingouvernables. À l’extérieur, des pays puissants dénonçaient le régime de l’apartheid. Mandela était une icône mondialement connue de la lutte contre l’apartheid. À l’époque, il estimait que le caractère répressif du régime sud-africain révélait d’abord sa faiblesse. Il avait analysé la situation pour en conclure qu’une victoire militaire de l’ANC contre le gouvernement était impossible.
Il avait alors proposé des négociations secrètes avec le gouvernement dans le but de conclure une transition pacifique. Après leur première entrevue en juillet 1989, le Président Botha et Mandela s’étaient engagés dans la négociation. Dans son autobiographie, Mandela écrivait : « Maintenant, je sentais que nous étions au point de non-retour. »(1)
En 1993, Nelson Mandela est parvenu à convaincre le général afrikaner Constand Viljoen de renoncer à l’affrontement. Viljoen disposait d’hommes aguerris et de matériels militaires performants. Il pouvait déstabiliser le pays et faire échec à l’organisation des élections multiraciales de 1994.
Mandela souhaitait rencontrer Viljoen. Leur premier entretien eut lieu le 12 août 1993, dans la maison de Mandela. D’après Viljoen, Mandela était courtois, souriant et affable. Il a commencé par rappeler « que le peuple afrikaner lui avait fait beaucoup de tort, ainsi qu’à son peuple. » Puis il a affirmé son « grand respect pour les Afrikaners. »(1) Enfin, il a montré à son interlocuteur qu’il connaissait bien la culture et l’histoire des Afrikaners.
À son tour, Viljoen a posé le problème : « J’espère que vous comprenez combien il est difficile pour les blancs de croire que les choses iront bien avec l’ANC au pouvoir […] Je ne suis pas sûr que vous le réalisez, Monsieur Mandela, mais on peut mettre un terme à tout ceci. »(1)
Mandela lui a rétorqué : « Écoutez, général, je sais que les forces militaires à votre disposition sont puissantes, bien armées et bien entraînées et qu’elles sont beaucoup plus puissantes que les miennes […] Cependant, si vous déclarez la guerre, vous ne gagnerez assurément pas non plus à la longue, car, premièrement, la communauté internationale sera entièrement derrière nous. Et deuxièmement, nous sommes plus nombreux et vous ne pouvez nous tuer tous […] et ce pays deviendra un enfer sur terre pour nous tous. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Non, général, il ne peut y avoir de gagnant si nous déclarons la guerre. » « C’est exact »(1) a conclu Viljoen.
Au cours cet entretien, Mandela s’est montré à la fois ferme et ouvert aux négociations. Mais il n’a pris aucun engagement sur la création d’un État afrikaner indépendant.
Finalement, Viljoen a renoncé à la guerre et a soutenu le principe d’élections multiraciales. Pourquoi ? La décision de Viljoen s’appuyait sur des considérations politiques : « Je considérais que la meilleure solution était les négociations et la participation aux élections. Que c’était là la meilleure chose pour le pays et pour le peuple afrikaner. » Mais la personnalité de Mandela avait largement compté dans sa décision : « L’important, lorsqu’on s’assoit et qu’on négocie avec l’ennemi, c’est le caractère des personnes assises de l’autre côté de la table et le soutien qu’elles reçoivent de leurs gens. Mandela avait les deux. »(1)
Nelson Mandela a atteint son objectif politique. Et pourtant il était très ambitieux. Comment a-t-il réussi ?
Mandela s’était fixé un objectif final : un homme, une voix, c’est-à-dire instaurer une démocratie multiraciale en Afrique du Sud avec les mêmes droits pour les blancs et les noirs. Il n’en a jamais changé. Au départ, cet objectif politique était très ambitieux, mais atteignable.
Lénine, grand lecteur de Clausewitz, définissait ainsi le but de la stratégie : « retarder les opérations jusqu’à ce que la désintégration morale de l’ennemi rende à la fois possible et facile de porter le coup décisif. » Le général André Beaufre, dans sa Vue d’ensemble de la stratégie proposait une définition plus générale : « atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entraînant une désintégration morale de l’adversaire suffisante pour lui faire accepter les conditions qu’on veut lui imposer. »
La dimension psychologique et la force morale sont donc déterminantes dans la réussite d’une stratégie.
Même lorsqu’il ne disposait que d’une liberté d’action extrêmement limitée – un prisonnier politique peut difficilement agir comme il le souhaite ! – Mandela a toujours montré une force morale hors du commun. Il ne s’est jamais résigné et n’a jamais renoncé à son objectif final.
Nelson Mandela était un jeune homme impulsif. La prison ne l’a pas brisé. Elle lui a appris la patience et le contrôle de ses réactions.
Mandela savait différer certaines décisions. D’ailleurs, il utilisait très souvent l’expression « sur le long terme. »(8) Il était patient et attendait le moment opportun pour agir. À sa sortie de prison, il était parfaitement maître de lui-même et prêt à conquérir le pouvoir politique.
Il a été capable de changer de stratégie ou de tactique quand la situation l’exigeait : la lutte armée de type guérilla d’abord et la transition pacifique ensuite.
Pour lutter contre l’apartheid, il n’avait que peu de ressources matérielles. L’armée des blancs était très supérieure à celle des noirs. Le pouvoir économique et financier appartenait quasiment exclusivement aux Afrikaners.
En revanche, au niveau de la population, l’avantage numérique était très nettement du côté des noirs : 80 % de noirs contre 20 % de blancs. Toutefois, les Afrikaners étaient très soudées autour de leur culture et de leur histoire commune, quoi qu’on puisse en penser moralement.
Mandela a calmement et objectivement évalué les ressources et les rapports de force. Il a été capable de fédérer une partie de la communauté et de l’opinion publique internationales autour de son but.
Il passait du plan à l’action dès que l’opportunité se présentait, pour négocier avec le pouvoir blanc dans les années quatre-vingt et ensuite, pour conquérir le pouvoir après sa libération.
Mandela manipulait les passions avec brio. Son action la plus spectaculaire a été d’utiliser la coupe du monde de rugby, en 1995, pour rapprocher les blancs et les noirs d’Afrique du Sud.
Alors que Mandela remettait une récompense au joueur de football Pelé, il avait déclaré : « Le sport a le pouvoir de changer le monde. Il a le pouvoir d’inspirer et d’unir un peuple comme peu d’autres événements peuvent le faire […] Il est plus puissant que les gouvernements pour briser les barrières raciales. »(1)
Mandela avait fermement soutenu, avec l’aide de Sisulu, la candidature de l’Afrique du Sud pour accueillir la coupe du monde. Sous l’apartheid, le rugby était un sport réservé aux blancs. D’ailleurs, en 1995, Chester Williams était le seul joueur de couleur de l’équipe des Springboks. Et le jour de la finale, 95 % des spectateurs présents dans le stade étaient blancs. Le rugby fait partie de la culture des Afrikaners.
Les noirs en général et les membres de l’ANC en particulier critiquaient Mandela pour son soutien inconditionnel à la cause du rugby. Mandela s’en souvenait parfaitement : « Mes propres partisans m’ont hué ! Ils m’ont hué quand je leur ai dit “ces gars [les Springboks] sont maintenant les nôtres, embrassons-les !” […] Oh ! Que c’était difficile... »(1)
Mais, comme toujours, il a tenu bon : « Mon but était de m’assurer que nous obtenions l’appui des Afrikaners, car, comme je continuais à le rappeler aux gens, le rugby, en ce qui concerne les Afrikaners, est une religion. »(1) Et pour atteindre son objectif, Mandela a rapidement gagné la confiance de Pienaar, le capitaine de l’équipe : « François Pienaar était le capitaine de l’équipe de rugby, et si je voulais utiliser le rugby, je devais travailler avec lui. »(1)
Mandela n’a pas ménagé ses efforts pour atteindre son objectif. Il est parvenu à convaincre Louis Luyt, le président de la fédération sud-africaine de rugby, de faire de la coupe du monde un moment d’union nationale.
Luyt a nommé deux hommes très sensibles à l’objectif fixé par Nelson Mandela : Edward Griffiths le responsable de la fédération et Morné du Plessis l’ancien joueur et manager de la sélection. Griffiths a choisi le slogan « une équipe, un pays » et du Plessis a convaincu les joueurs blancs de l’équipe de chanter Nkosi Sikelele, l’hymne des noirs.
Mandela s’est adressé aux Springboks à plusieurs reprises et notamment la veille de leur premier match contre l’Australie. Il les a rassurés en leur affirmant qu’en « tant qu’afrikaners ils n’avaient rien à craindre de l’ANC. » Puis il les a motivés pour le match : « Vous jouez contre les champions du monde, l’Australie. L’équipe qui gagnera ce match ira jusqu’au bout. » Et il a conclu : « Vous avez la possibilité de servir l’Afrique du Sud et d’unir notre peuple. » Les joueurs l’ont applaudi. Du Plessis constatait : « Mandela avait gagné leur cœur. »(1) Juste avant le match contre l’Australie, les Springboks ont chanté les deux hymnes, Die Stem et Nkosi Sikelele. Et ils se sont imposés.
À Ezakheni, Mandela a d’abord été hué quand il a demandé à la foule de soutenir les Springboks pour leur demi-finale contre la France. Mais il a insisté : « Écoutez, il y a des leaders ici parmi vous. Soyez plus clairvoyants, mettez vos émotions de côté. Construire une nation signifie que nous avons, à l’instar des blancs, un prix à payer. » Les protestations se sont tues et, finalement, la foule s’est rangée à son avis. « En définitive, j’ai gagné la foule »(1) concluait-il.
Un garde du corps avait suggéré à Mandela de porter le maillot des Springboks. Mandela trouva l’idée très pertinente. Lors de la finale, il arborait le maillot du capitaine Pienaar et une casquette aux couleurs de l’équipe. Le public, très majoritairement blanc, fut conquis.
Quand Mandela alla saluer les joueurs sur la pelouse, il fut acclamé. Lors de la finale, Mandela ne s’était pas contenté de s’afficher avec les couleurs des Springboks. Il avait aussi encouragé les joueurs dans les vestiaires. D’après Louis Luyt « il les a armés avec ces mots en affirmant que le pays tout entier était derrière eux. C’était un petit discours, mais, mon Dieu !, il allait permettre à ces gars de jouer superbement ! […] Nous n’aurions pu la gagner sans Mandela ! Lorsque je suis descendu avec lui pour voir les joueurs dans leur vestiaire avant le match, je l’ai constaté, il les a totalement soulevés ! Ils l’ont autant gagnée pour lui que pour toute autre chose. »(1)
La finale n’était pas très belle et aucun essai ne fut marqué. Mais les Sud-Africains se sont imposés, pendant les prolongations, grâce à un drop.
Quand Nelson Mandela regagna le terrain pour remettre la coupe à François Pienaar, la foule hurlait « Nelson ! Nelson ! » Après la remise de la coupe, Mandela déclara « François, merci beaucoup pour ce que vous avez fait pour notre pays. » Et Pienaar répondit : « Non, Monsieur le Président. Merci pour ce que vous avez fait pour notre pays. » Pour Desmond Tutu « cette réponse provenait du ciel. » En tout cas, pour la communication, on pouvait difficilement faire mieux. Et puis « tout le monde pleurait » comme le constatait Slabbert, un Afrikaner. Enfin, tout le monde pleurait, sauf Mandela qui ne pleurait jamais...
L’objectif sportif était atteint. L’objectif politique d’union nationale l’était également.
Le matin de la finale, on pouvait lire dans le journal sud-africain l’Argus : « La coupe du monde de rugby a mené à une spectaculaire recrudescence de la réconciliation nationale parmi toutes les races d’Afrique du Sud, rapportaient des chercheurs et des scientifiques sociaux cette semaine. »(1)
Pendant la finale les rues étaient désertes, les blancs et les noirs regardaient le match et soutenaient leur équipe. Desmond Tutu soulignait : « Nelson Mandela a le don de faire la bonne chose et de la réussir avec aplomb […] Je crois que cela a été un moment très important dans la vie de notre pays. »(1)
Même Kobie Coetsee, l’ancien ministre de la Justice sous la présidence de P. W. Botha, était stupéfié : « Cela soutenait le miracle »(1) disait-il.
Le journal sud-africain Die Burger allait dans le même sens : « il n’y avait plus aucun doute que l’équipe des Springboks avait uni le pays plus que toute autre chose depuis la naissance de la nouvelle Afrique du Sud. »(1)
La victoire sud-africaine de 1995 n’a pas réglé tous les problèmes du pays, loin de là. Mais elle a largement favorisé un sentiment d’union nationale juste après l’instauration de la démocratie multiculturelle.
Cette superbe victoire des Springboks et de l’Afrique du Sud est aussi — et peut-être même avant tout — une victoire de Mandela.
Mandela voulait renforcer la jeune démocratie sud-africaine en affirmant l’objectif final dont il ne s’est jamais écarté : une personne, une voix. Il a voulu accueillir la coupe du monde de rugby en Afrique du Sud. Il a soutenu les Springboks malgré l’opposition des dirigeants de l’ANC. Face aux blancs, il a été crédible et entendu. Et cette crédibilité, il l’a construite en refusant toute haine vis-à-vis des Afrikaners. Il leur a même tendu la main pour pacifier le pays. Il s’est adressé à plusieurs reprises aux joueurs pour les galvaniser. Il a porté le maillot de l’équipe nationale lors de la finale, dans un stade de supporters blancs.
Au début, les noirs comme les blancs s’opposaient à Mandela dans la conduite de son projet pour la coupe du monde. Mais il a construit son plan patiemment, il a surmonté tous les obstacles — et ils étaient nombreux -, il a su convaincre et s’imposer pour finalement réussir au point que tout le pays l’a suivi.
Cet exploit avait fait dire à John Reinders : « La finale de la coupe du monde de rugby, c’était lui à son meilleur, c’était tout lui. »(1)
Résumons. Mandela avait une intelligence visuelle et spatiale a minima élevée. Il analysait méticuleusement les situations et les rapports de force, avec recul et finesse. Il disposait d’une force morale exceptionnelle. Il passait très rapidement à l’action lorsqu’une opportunité se présentait. Il manipulait les passions avec brio. Enfin, il a toujours poursuivi le même but, l’instauration d’une démocratie multiraciale en Afrique du Sud, tout en étant capable de changer de stratégie ou de tactique en fonction de la situation.
En bref, Mandela était un stratège d’exception.
Il faut bien reconnaître qu’un événement considérable a favorisé ses desseins. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est, le communisme n’était ni une alternative crédible ni une menace pour l’Occident. L’apartheid n’était plus un régime politique viable. Mais un stratège qui n’est pas aidé par le destin est-il vraiment un grand stratège ?
Nelson Mandela jouit d’une image extraordinairement positive. Elle n’est pas usurpée. Humainement, Mandela a été grand. Il a totalement imposé sa volonté de justice, avec bienveillance. Combien, à sa place, auraient voulu se venger après avoir subi autant d’injustices ?
Mais, dans ce concert d’éloges à la gloire de Mandela, on oublie très souvent son talent. Or, s’il n’avait pas reconnu et utilisé son talent de stratège avec bienveillance, rien de ce qui s’est passé n’aurait été possible.
Mandela comptait beaucoup plus sur son talent que sur la chance.
Si nous ne sommes pas type 8 comme Mandela, nous ne pouvons pas devenir le chef puissant qu’il a été. Si nous n’avons pas son talent de stratège, nous ne pouvons pas conquérir le pouvoir comme il l’a fait.
Toutes les femmes et tous les hommes n’ont pas vocation à mener la vie de Mandela. En revanche, nous pouvons tous reconnaître et utiliser notre talent avec bienveillance.
Lorsqu’on lui demandait de définir un héros, Mandela répondait : « Un héros est un homme qui croit en quelque chose, qui est courageux, qui peut même risquer sa vie pour le bien de la communauté. »(8) Finalement, Mandela se définissait bien en héros ! Cette définition omet pourtant une dimension essentielle, la durée. Il est certainement plus facile d’avoir un comportement héroïque pendant cinq minutes que pendant plusieurs décennies. Et Mandela n’a pas été un héros intermittent : il a eu une vie héroïque. Il a été un stratège héroïque.
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En bref, Mandela était un stratège d’exception. Il faut bien reconnaître qu’un événement considérable a favorisé ses desseins. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc de l’Est, le communisme n’était ni une alternative crédible ni une menace pour l’Occident. L’apartheid n’était plus un régime politique viable. Mais un stratège qui n’est pas aidé par le destin est-il vraiment un grand stratège ? Nelson Mandela jouit d’une image extraordinairement positive. Elle n’est pas usurpée. Humainement, Mandela a été grand. Il a totalement imposé sa volonté de justice, avec bienveillance. Combien, à sa place, auraient voulu se venger après avoir subi autant d’injustices ? Mais, dans ce concert d’éloges à la gloire de Mandela, on oublie très souvent son talent. Or, s’il n’avait pas reconnu et utilisé son talent de stratège avec bienveillance, rien de ce qui s’est passé n’aurait été possible. Mandela comptait beaucoup plus sur son talent que sur la chance. Si nous ne sommes pas type 8 comme Mandela, nous ne pouvons pas devenir le chef puissant qu’il a été. Si nous n’avons pas son talent de stratège, nous ne pouvons pas conquérir le pouvoir comme il l’a fait. Toutes les femmes et tous les hommes n’ont pas vocation à mener la vie de Mandela. En revanche, nous pouvons tous reconnaître et utiliser notre talent avec bienveillance. Lorsqu’on lui demandait de définir un héros, Mandela répondait : « Un héros est un homme qui croit en quelque chose, qui est courageux, qui peut même risquer sa vie pour le bien de la communauté. »(8) Finalement, Mandela se définissait bien en héros ! Cette définition omet pourtant une dimension essentielle, la durée. Il est certainement plus facile d’avoir un comportement héroïque pendant cinq minutes que pendant plusieurs décennies. Et Mandela n’a pas été un héros intermittent : il a eu une vie héroïque. Il a été un stratège héroïque.